BALTE (MYTHOLOGIE)

BALTE (MYTHOLOGIE)
BALTE (MYTHOLOGIE)

Peut-être les Baltes formaient-ils, à l’origine, une communauté avec les Slaves, ce qui rendrait compte de nombreux détails de leurs croyances. Mais, qu’il s’agisse des Pruthènes, établis en Prusse, de l’embouchure de la Vistule à l’actuelle Russie blanche; des Lituaniens, installés plus à l’est-nord-est, jusqu’au Niemen et au-delà, ou des Lettons, fixés au nord de la Dvina, nous disposons de très peu de documents, de quelque ordre qu’ils soient, pour les connaître et nous ne pouvons juger de leur paganisme que par le biais de témoignages notoirement sujets à caution: relations étrangères, homélies et rapports établis par des clercs chrétiens, folklore populaire. Ces peuplades perdirent leur autonomie sous les coups des chevaliers teutoniques (XIIIe siècle) et la Réforme acheva, au XVIe siècle, d’extirper ce qui faisait leur originalité.

Il n’est tout de même pas impossible de dégager des sources dont on dispose quelques caractères du paganisme balte, que l’on envisagera ici globalement, en notant, si nécessaire, des divergences propres à chacune des trois branches.

Culte de la nature et culte des morts

Le premier trait frappant est que les Baltes vouaient avant tout un culte aux forces de la nature, telles quelles ou, éventuellement, personnifiées. Peuplades agricoles, ils adoraient les arbres et les forêts, le Soleil, la Lune et les astres, et toutes sortes de quadrupèdes, y compris les crapauds. Leurs dieux et leurs démons habitaient les champs, les lacs et les rivières: c’étaient les velè , les kaukis ou nains, les laume (féminin), tous tutélaires. Aussi ne leur connaît-on guère de temples: les forêts sacrées ou alkas leur en tenaient lieu. Ce culte prend chez les Lettons un caractère très marqué avec les «mères» ou mate , dont l’existence renvoie sans doute à une déesse-mère primordiale et qui portent des noms parlants: Laukamat (mère des champs), Mezamat (des bois), Lopemat (du bétail), Jurasmat (de la mer), Darzamat (des jardins), Vejamat (du vent), etc. Le jésuite Stribing rapporte, en 1606, que les Livoniens font des offrandes «à certains arbres et à certains bois. Ces arbres sont réputés sacrés». Les Pruthènes et surtout les Lituaniens semblent avoir vénéré plus spécialement le feu. Le dieu lituanien Telavel offre une variante locale du fameux forgeron céleste, fabricateur du Soleil (saule , substitutif féminin qui signifie aussi «petite mère») au moyen d’un marteau géant, objet d’un culte propre. L’arc-en-ciel est également divinisé sous le nom de Diviriks et le foyer domestique a ses esprits, incarnés par des serpents. Il est probable que le culte du feu était en relation étroite avec les opérations divinatoires fort en honneur chez les Baltes. Il a peut-être existé un corps spécialisé de prêtres pour interpréter les arrêts du feu.

Par le biais de la réincarnation en laquelle croyaient les Baltes, ou de la transmigration des âmes, cette vénération des forces naturelles s’apparente étroitement au culte des ancêtres, qui a joui d’une faveur particulière. Les morts étaient incinérés selon un rituel précis, des offrandes étaient faites à leurs mânes dans les cimetières. Car ils étaient censés revenir, sous des formes animales, de leur royaume: par là s’établissait un incessant mouvement de circulation qui expliquerait que les Baltes professaient un assez grand mépris de la mort. Il est remarquable que, chez les Lettons par exemple, le culte des morts ait été célébré précisément dans les forêts sacrées. Et Stribing rapporte une formule propitiatoire à eux adressée dont la substance est «souvenez-vous de nous», en précisant qu’ils pensent que les âmes «prennent partiellement la forme de loups et d’ours, partiellement de dieux».

Des divinités tardivement individualisées

Culte des forces de la nature, culte des morts: les deux ont en commun une manière d’absence d’individualisations qui rend très bien compte du grand nombre de déités au collectif que l’on rencontre dans cette mythologie. Ainsi, chez les Pruthènes, parle-t-on, au collectif, de deïvaï , de kaukaï , d’aitvaraï . De même, les Lituaniens connaissent une foule de loups-garous ou de sorcières: lauma , deiva , ragana .

On peut présumer que c’est à un stade plus récent de l’histoire qu’apparaissent quelques divinités, cette fois nettement individualisées. Tel est en tout cas le fait du seul grand dieu connu de tous les Baltes, Perkunas (dont le nom est en relation étymologique avec le latin quercus , le chêne, le norrois Fjörgyn/n/, dieu de toute vie [slave Perun-Perkun]), dieu des cieux, de la foudre notamment et de la guerre, qui doit être l’avatar balte du grand dieu suprême indo-européen; de Zempat, maître de la terre chez les Pruthènes; de Laukosargas, gardien des champs et protecteur du blé, qui est peut-être le même que le Kurke cité dans une source du XIIIe siècle, auquel il convenait d’offrir la dernière gerbe fauchée (toujours chez les Pruthènes), et du dieu lituanien Nonadey, outre ceux qui ont été mentionnés plus haut et auxquels on ajoutera encore l’étrange Meiden lituanien, un dieu-lièvre hantant les forêts, s’il n’est pas tout simplement emprunté aux Slaves, tout comme, chez les Lituaniens encore, cette déesse Zvoruna, «la chienne»: F. Vyncke voit dans ces figures des cas de totémisme. Il se peut, mais nous y verrions plus volontiers des illustrations de cette transmigration des âmes évoquée précédemment.

Il reste à dire que, tout comme chez les Germains et les Nordiques, le culte, souvent évoqué ici, a dû jouer un rôle primordial chez les Baltes, si tant est qu’il n’ait pas tout bonnement constitué le caractère essentiel de leur religion. Peu intellectuelle, peu anthropomorphique, elle se connaissait, sans doute, par excellence, dans les trois opérations majeures du culte: l’offrande ou le sacrifice (de boucs, bœufs, truies, chevaux, de préférence noirs chez les Pruthènes, nous dit-on, voire d’êtres humains, encore qu’ici par excellence, la collusion avec le monde germanique soit probable); la divination, déjà notée, qui tenait une place de premier ordre chez ces peuples étroitement liés à la terre et aux caprices des éléments naturels sous des latitudes inclémentes; le banquet ou snike , qui resserre l’âme de la communauté échauffée par l’hydromel et donne lieu à des jeux et des danses, vigoureusement proscrits ensuite par le christianisme.

La vénération du Destin

On fera une dernière remarque: comme toutes les mythologies ayant un caractère relativement primitif et conçues par des peuplades que les circonstances de temps et de lieu obligeaient à l’action, le Destin a dû tenir un rang non négligeable, le plus important peut-être, dans l’univers mental des Baltes. Il y a un rapport évident à établir entre les laume pruthènes, entités tutélaires attachées aux eaux et aux forêts, les laima lituaniennes, expressément chargées de veiller aux destinées individuelles ou claniques (et l’on notera que le mot laima signifie à la fois bonheur et destin, comme le slave ro face="EU Caron" ゼanica ), et la déesse lettone Laima, «c’est-à-dire la Fortune ou déesse du bonheur», dit P. Einhorn.

L’intérêt majeur de cette mythologie est double. En diachronie, il semble bien que, pour être bien indo-européenne, elle ait conservé, peut-être pour des raisons d’éloignement géographique, peut-être parce qu’elle se trouvait mieux enracinée et structurée au moment de l’arrivée des Indo-Européens, un certain nombre de traits évidemment archaïques qui, mieux qu’ailleurs, apparemment, nous permettent d’entrevoir ce qu’a pu être le fond autochtone qu’ont recouvert les envahisseurs: culte solaire, fertilité-fécondité, vitalisme, révérence pour un Destin actif en seraient les composantes profondes. En second lieu, et pour des motifs que suffit à élucider la géographie, l’étude de ce paganisme est intéressante parce qu’elle permet d’établir une filiation ou de suivre une continuité entre le monde mental des Slaves et celui des Germano-Nordiques. Dans une histoire, qui reste à écrire, de l’évolution de la Weltanschauung indo-européenne dans le temps et dans l’espace, en fonction des cultures successivement subjuguées par la nouvelle venue, le monde balte, si mal connu, nous fournirait un missing link appréciable.

En somme, la mythologie balte ne semble pas avoir dépassé un stade relativement simple et naturel, où le culte de la nature et le culte des morts, celui-ci informant celui-là, donnent lieu à des manifestations communielles dont le but est finalement de concilier les rigueurs du Destin.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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